J'ai arrêté de dire "dépêche toi" !


Bien que les mots «dépêche toi» n'aient pas fait grand-chose, sinon rien, pour augmenter la vitesse de mes enfants, je les ai quand même dits. Peut-être même plus que les mots «je t'aime». La vérité fait mal, mais la vérité guérit ... et me rapproche du parent que je veux être.

- Dépêche toi de te lever.

- Dépêche toi de prendre ton petit déjeuner.

- Dépêche toi de t’habiller.

- Mets tes chaussures, vite !

- Dépêche toi de monter dans la voiture.

- C’est bon t’es attachée ?

- Vite !!!.

- Je vais être en retard au travail à cause de toi.

- Dépêche toi. Je vais me faire disputer par mon patron si tu continues à prendre ton temps…

- Qu’est ce que tu ne comprends pas dans « PLUS VITE » ?! 

Tout cela n’a jamais servi à rien... 

Ma fille n’est pas lente. Elle contemple. Elle aime regarder les insectes minuscules, caresser les chiens que nous croisons dans la rue. Sentir les fleurs, toucher les matières, regarder les vitrines.  Et chaque fois je sens ma respiration se bloquer, comme si elle était en danger. Alors qu’elle prend seulement son temps. Et moi je compte déjà combien de minutes je perds sur mon planning... Je la tire par le bras, je réponds à peine à ses questions et je fais semblant de sentir les fleurs qu’elle me tend, comme si respirer était une perte de temps.

Je vis au rythme des notifications et sonneries de rappels. A ce moment là, j’ai 3 agendas et je classe les tâches de la journée par ordre de priorités puis par tolérance de retard. Les choses non urgentes passent en priorités cruciales et je me mets des rappels de rappels. 

Aller chez le médecin fait partie des choses « pas utiles » et manger, carrément du temps de perdu. 

Cela semble irréel mais ça a duré 10 ans. 

Un jour tout a changé. 

Un vendredi soir, je me suis bloqué 30 minutes pour checker mes mails au bord du lac. Ma fille a repéré un cygne et elle voulait attendre qu'il s’approche un peu plus pour l'admirer. Mon fils l’a alors prise par la manche et dit sèchement « on n’a pas le temps !! » J’ai levé le nez de mon téléphone et je me suis surprise à penser « c’est vrai qu’il est lent ce cygne »...

C’est à ce moment précis que tous mes voyants se sont mis au rouge. Le spectacle auquel je venais d’assister était déchirant. 

Je me suis souvenue que oui, le cygne est calme et apaisé, mais sous la surface il pédale comme l’enfer… Et mon fils qui devrait être insouciant venait de reproduire le schéma auquel il assiste quotidiennement « on n’a pas le temps, dépêche toi » 

Mes yeux étaient ouverts ; J'ai vu avec clarté les dommages que mon existence précipitée causait à mes deux enfants.

Bien que ma voix ait tremblé, je les ai regardé dans les yeux et j'ai dit: "Je suis vraiment désolée de vous avoir fait vous dépêcher toute votre vie J'adore que vous preniez votre temps et je veux être comme vous."

Mes deux enfants semblaient surpris par mon admission douloureuse, et le visage de ma fille portait une lueur indubitable de validation et d'acceptation.

"Je promets d'être moins sous pression à partir de maintenant", dis-je en étreignant mes enfants qui rayonnaient maintenant de ma promesse.

Extraire « dépêchez vous » de mon vocabulaire n’a pas été si difficile, mais je devais maintenant contrôler mon rythme effréné et réorganiser toute ma vie. J’étais assise là dans la douleur à réaliser que j’avais précipité mes enfants dans la vie. Alors qu'ils sont naturellement calmes et observateurs.

J’ai supprimé (presque) toutes les notifications. Gardé un seul agenda et supprimé les rappels. J’ai arrêté de diviser mon temps en le fractionnant en secondes. Et je n'ai plus de montre.

Aujourd’hui ma fille a 12 ans, et même si elle adore toujours prendre son temps, elle a gardé l’habitude de me demander « il faut que je me dépêche ? » quand on sort manger une glace ou quand elle doit choisir un livre à la bibliothèque. 

Je ne suis pas encore complètement guérie. Je sais exactement de combien de temps elle dispose mais je souris et je réponds "prends TON temps » et la voir contempler avec soin tout ce qui l’entoure, toucher, écouter les conversations des gens autour d’elle, feuilleter tous les livres, respirer l’odeur des pages, regarder les images... je la remercie intérieurement pour ce temps qu’elle me fait gagner.

Et ça marche aussi pour cueillir des fleurs, manger des glaces, contempler le paysage, jouer ou s’ennuyer.

Arrêtez de courir, et ne dites plus « dépêche toi », c’est inutile. Je l’ai appris de ma fille. <3


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